mercredi 19 août 2015

Teflon Don est sur le sentier de la guerre


En annonçant cette semaine le plan de contrôle de l'immigration le plus ambitieux depuis un demi-siècle alors qu'il caracole en tête des intentions de vote à la primaire républicaine, Donald Trump vient probablement de déclarer une guerre totale à l'establishment progressiste, la droite américaine de se trouver un champion, et le diable de sortir de sa boîte.


Je dis probablement car une partie des conservateurs, échaudée par des décennies de défaites successives et de contrôle toujours plus absolu de l'establishment, doute encore de la sincérité de Trump, estimant qu'il ne fait sans doute que tanker la primaire en attirant les projecteurs à lui pour mieux écrémer la multitude de candidats mineurs et favoriser l'onction de Jeb Bush, candidat désigné des Powers-That-Be et des grands donateurs du GOP.

Cette hypothèse a l'alibi de l'expérience pour elle. Le processus de nomination des deux partis américains est conçu et mené de manière à ce que rien n'en émerge qui ne soit dûment approuvé par l'appareil. Les supporters de Ron Paul, qui avait soulevé un certain enthousiasme au sein de la base il y a quatre ans, en savent quelque chose. L'homme lui-même ne brille pas par la consistance de ses positions, ayant soutenu les Démocrates a plusieurs reprises par le passé, sans parler de son image de milliardaire un peu excentrique dont l'estime de lui-même confine à la mégalomanie. Le plan est donc qu'il explose en vol avant les caucus de l'Iowa au mois de janvier.

Seulement voilà : Trump n'est pas Ron Paul, et en quatre ans la situation est passée de grave à désespérée. Les Etats-Unis font face, comme le reste de l'Ouest, à des problèmes extrêmement sérieux tant sur le plan social qu'économique, et la colère gronde parmi une population qui sent à juste titre qu'elle a été lâchée par ses élites. Trump a largement de quoi justifier l'évolution de son point de vue, et il ne sera pas aussi aisé de le désarçonner.

Mais surtout, Trump a franchi un point de non-retour en s'attaquant frontalement à la forteresse politiquement correcte. Ses positions relèvent du blasphème absolu contre la religion multiculturaliste. Or il est plus ou moins impossible de s'aventurer sur ces sujets, particulièrement de la façon dont il le fait, sans être extrêmement sérieux dans ses intentions. Son plan parle ouvertement de déportation, de fin du droit du sol. Qu'il s'agisse de promesses de campagne ou non, le simple fait que ces sujets soient mis sur la table par un candidat à la présidence largement soutenu est un séisme.

Trump sait. Il a compris. Il s'entoure de gens qui ont compris. Et il dit ouvertement les choses, comme dans cette interview où il répond au présentateur Chuck Todd que les familles d'illégaux doivent effectivement partir.




We either have a country, or we don't.

Il faut mesurer que c'est un moment d'anthologie. Il y a dans la course à la présidence américaine un homme résolu à adopter une approche réaliste et sans concession sur la question de l'immigration.

Trump joue toute sa crédibilité dans cette campagne. Il ne pourra pas s'en retirer dans trois mois en disant qu'on a bien rigolé et n'oubliez pas de regarder mon prochain reality show les copains. Au surplus, il dispose de moyens colossaux qui lui garantissent son indépendance et ne peut pas être acheté. Il a jusqu'ici refusé d'exclure une candidature indépendante si le GOP torpille la sienne, à la plus grande fureur de l'establishment républicain qui serait alors assuré de perdre les élections et a tenté de l'exclure du premier débat des candidats sur ce motif.

Ses attaques sont de celles qui n'envisagent pas de réconciliation. Une partie importante de ses clients, terrorisée à l'idée de se retrouver du mauvais côté de la ligne politiquement correcte, l'a d'ailleurs déjà prudemment lâché. The Donald means business. He's in for good.


Evidemment, la riposte ne s'est pas faite attendre. La Cathédrale a sorti l'artillerie lourde après l'annonce du plan Trump/Sessions. Rien ne sera épargné à Trump, et les deux armes les plus puissantes dont elle dispose contre lui, le racisme et le disqualifier comme fou, seront utilisées à plein régime d'ici à la fin de l'année. Trump est sur le point d'encaisser une offensive comme personne n'en a subie depuis très longtemps, et il n'est pas certain que lui-même soit entièrement préparé à la violence de la contre-attaque qui l'attend - ni d'ailleurs qu'il soit souhaitable qu'il en soit entièrement conscient.

Depuis le début de la campagne, Trump affiche sans ambages son mépris le plus absolu pour les médias, qu'il connaît par cœur et prend ouvertement pour les laquais serviles qu'ils sont. Sa grande force est qu'il se montre jusqu'ici imperméable à leurs stratégies classiques d'élimination des gêneurs. De toutes les attitudes qui lui attirent la sympathie du public américain, c'est peut-être celle qui lui vaut le plus de crédit. Plus il dépasse allègrement les limites du discours autorisé et enchaîne les outrances, plus son soutien populaire augmente, ce qui a valu le sobriquet affectueux de Teflon Don par ses supporters. La presse américaine, corrompue au dernier degré, habituée à l'instar de la presse européenne à tenir le rôle de clergé de la Cathédrale chargé de sermonner les masses et d'emporter leur consentement en pratiquant l'intimidation si nécessaire, est dans le collimateur de l'opinion. Trump le sait, et il est en train de lui faire d'énormes dégâts.

Mais Trump a les moyens de résister. Il est lui-même un produit du système, une créature de la Cathédrale. Il est taillé pour ce combat. Comme d'habitude, le néoréactionnariat américain nous gratifie des analyses les plus brillantes sur le sujet, ce dernier phénomène étant décortiqué à la perfection par l'excellent Ryan Landry ici.

Enfin, Trump dégage une véritable énergie masculine. Après Obama, l'homme qui expliqua à l'Amérique qu'il a arrêté de fumer par crainte de sa femme, entre Hillary la castratrice lesbienne et Jebito Bush qui est à l'évidence l'archétype du mâle beta, la bonne vieille arrogance old-school de Donald Trump est un vrai bol d'air. Trump parle et agit en leader. Il ne s'autorise pas le confort de l'apaisement, ne s'excuse jamais pour ses outrances et adopte en permanence une position offensive.

Lorsque l'establishment lui est tombé dessus pour avoir remis en question le statut de héros de guerre de ce vieux crony pommadé de John McCain, s'est-il aplati et confondu en excuses? Non. Il est revenu pour en remettre une couche.


Traité de crétin par le sénateur Lindsey Graham, lequel lorgne sur la présidence lui aussi, que fait Trump? Cherche-t-il à apaiser les choses? S'indigne-t-il comme le premier étudiant en sociologie venu? Non. Il préfère suggérer à l'audience d'un de ses meetings de demander des clarifications au sénateur Graham sur sa requête de soutien auprès de la campagne Trump en brandissant son numéro de portable (voir ici à 26:00).

Trump ne fléchit pas, et il sait parler à l'homme de la rue. Cette attitude joue un rôle primordial dans le soutien populaire, en un temps où la représentation et l'attitude sont si importantes. L'Amérique aime les gagnants, et Trump incarne à l'évidence la réussite. Pendant que les crânes d'œuf de la Beltway ou de Saint-Germain-des-Prés pondent de savantes et triomphalistes analyses sur l'inutilité d'en appeler ainsi au mâle blanc réactionnaire car celui-ci est déjà minoritaire aux Etats-Unis et c'est trop tard, son attitude macho et courageuse suscite une certaine sympathie chez les minorités. Sa popularité est supérieure chez les femmes, et celles qui ont partagé sa vie parlent de lui avec le plus grand respect. Trump lui-même se définit comme le meilleur président possible pour les Noirs, et il n'est pas interdit de penser qu'il pourrait l'être. Les femmes noires notamment apprécient son caractère, tout comme son côté macho est de nature à plaire aux hispaniques. Bien que ce soit le cheval de bataille de ses adversaires, il sera difficile de le parquer dans la catégorie Intouchable de candidat des mâles blancs réac.


Au-delà de l'homme lui-même sur lequel il y aura certainement encore beaucoup à dire, il sera désormais très compliqué de refermer le couvercle sur cette question brûlante de l'immigration, le problème du siècle comme le décrit à merveille Pat Buchanan dans un éditorial digne d'un homme d'Etat. Le principal mérite de Trump est d'ores et déjà d'avoir ramené ce sujet au centre de la table. La droite est éveillée, et la fracture entre la base et l'élite qui menaçait à l'époque Ron Paul est désormais saillante. Le GOP tel qu'il est actuellement aura énormément de mal à se remettre de cette élection, quoi qu'il arrive. Les courtisans de la Beltway, perdus dans leurs intrigues de palais pour obtenir et conserver leurs strapontins et leurs financements, sont en train de voir la base leur échapper.

Trump peut encore voir sa candidature exploser en vol dans quelques semaines comme il peut provoquer une révolution. Mais maintenant le monde s'avance très vite vers des événements importants, dont il est impossible à ce stade de prédire l'évolution. Nous vivons à nouveau des temps historiques. Quelle époque fascinante, décidément. 

jeudi 13 août 2015

Grextay, suite




Nous vivons une époque fascinante où l'indigestion médiatique crée une telle cacophonie qu'il arrive régulièrement que les perles qui contiennent les informations les plus précieuses passent relativement inaperçues.

Ainsi je n'ai pas trouvé trace dans les médias français de cette récente interview au quotidien grec Kathiremini, dans laquelle le désormais ex-ministre des Finances de Syriza Yanis Varoufakis a eu l'amabilité de nous partager les considérations de son homologue allemand d'alors, le bon Dr. Wolfgang Schäuble, sur l'avenir de la zone euro - et ce qu'il est nécessaire de faire pour s'assurer qu'il advienne comme prévu.
 
"Schaeuble has a plan. The way he described it to me is very simple. He believes that the eurozone is not sustainable as it is. He believes there has to be some fiscal transfers, some degree of political union. He believes that for that political union to work without federation, without the legitimacy that a properly elected federal parliament can render, can bestow upon an executive, it will have to be done in a very disciplinary way. And he said explicitly to me that a Grexit is going to equip him with sufficient bargaining, sufficient terrorising power in order to impose upon the French that which Paris has been resisting. And what is that? A degree of transfer of budget making powers from Paris to Brussels."

Charmant garçon, ce Schäuble. Entre les Allemands et leur projet de faire de l'euro un Deutsch Mark sous stéroïdes et les Français qui ne tiennent si radicalement à leur indépendance financière que pour continuer à faire n'importe quoi avec l'argent du contribuable, les Européens sont gâtés.

Néanmoins, un Grexit reste une perte sèche d'importance pour les banques allemandes, probablement plus importante qu'une restructuration de la dette publique grecque. Que leur exécutant politique soit malgré cela prêt à privilégier cette option montre qu'il a correctement identifié la menace. L'Allemagne considère à l'évidence qu'un défaut partiel interne est un précédent nettement plus dangereux que l'exclusion d'un membre qui n'a pas su respecter les règles budgétaires.

Ainsi, Allemands et Grecs ont bien un intérêt commun à agir en faveur d'une intégration européenne accrue et d'une refonte des règles du jeu financier autour d'une centralisation complète. Leur divergence tient au fait que les Grecs préféreraient ne pas avoir à se priver de largesses financières de l'Europe dans l'intervalle, là où les Allemands s'accommoderaient du sacrifice du pion grec si ça leur permet d'aller prendre le roi français, qui défend encore le camp de la souveraineté budgétaire nationale.

De la à considérer que la nécessité pour les Français de pouvoir continuer à mijoter leur tambouille comptable en toute quiétude est le dernier rempart contre une intégration européenne à marche forcée il n'y a qu'un pas - tragique ironie.

Seulement voilà : le Grexit reste terriblement coûteux tant financièrement que politiquement. Même l'opinion allemande n'en veut pas vraiment. C'est pour cela que le pion grec n'a pas encore été sacrifié et que les Français peuvent pour le moment défendre l'unité européenne et continuer à s'adonner à leurs fantaisies économiques dans leur coin.

Malgré le vacarme autour des sommets successifs, du référendum et les gesticulations frénétiques supposées indiquer l'imminence d'un dénouement, en dépit
de l'impression d'inexorabilité dégagée par la troïka et son impitoyable austérité, les faits sont têtus. La Grèce continue à tenir sa place dans la zone euro après plus de six mois de promesses d'apocalypse nées de l'élection de Syriza, sans avoir jusqu'ici appliqué de mesures sérieuses.

Et la position de Schäuble ne laisse aucun doute sur le fait qu'en l'absence d'une évolution politique majeure c'est bien l'Allemagne, dans cette histoire, qui risque d'être contrainte de céder sur sa ligne de discipline budgétaire, d'ouvrir la porte à une dissolution plus importante de la valeur de l'euro dans la restructuration massive des dettes des pays du sud, et voir alors son rêve de zone monétaire intégrée, dominée par Berlin, se changer en tonneau des Danaïdes par lequel s'écoulera rapidement la relative prospérité allemande.

mercredi 11 février 2015

Grextay


Charles Gave et Franck Boizard soulèvent des points intéressants à propos de la crise grecque.

L'attitude des Grecs vis-à-vis de l'argent ne m'inspire aucune sympathie; mais les banques et autres fonds d'investissement qui se sont soumis une deuxième fois à des niveaux de risque considérables dans ces gouffres à pognon en croyant qu'ils n'en prenaient aucun sont indéfendables.

Tsipras a deux excellentes cartes dans sa manche : son pays ne peut structurellement pas payer les niveaux astronomiques de dette accumulés, sauf à se réduire en esclavage, et le monde financier considère l'hypothèse d'un Grexit comme un hiver nucléaire. Il en possède une troisième : l'hostilité grandissante des opinions européennes envers les institutions joue en sa faveur. 

Pour moi, il est en position de force.

Moi, je ne crois pas que la Grèce va se coucher, ni qu'elle va quitter l'euro, en l'état. L'Europe va jouer le pourrissement et tenter de faire retomber la vague d'enthousiasme autour de la victoire de Syriza pour les forcer par la suite à accepter les conditions qu'elle dicte, en procédant à quelques ajustements de façade pour permettre à tout le monde de sauver les apparences. Ca va se jouer autour de la détermination des Grecs, mais quelque chose me dit qu'ils n'en manquent pas et que le chantage ne va pas fonctionner, parce que les calculs d'Athènes, cette fois, sont justes : quelle que soit l'allure de sa restructuration, le pays ne peut pas se sortir de sa trappe à dette sans un défaut partiel.

Mais surtout, je crois que beaucoup de technocrates européens ne verraient pas d'un si mauvais oeil, en fin de compte, ce "New Deal" que réclame Tsipras et dont on n'a pas fini d'entendre parler. A ce stade, le seul moyen pour les institutions européennes d'éviter une panique d'un côté (Grexit) comme de l'autre (obliger les banques européennes à s'asseoir sur leurs pertes et créer un effet de contagion) serait de rebattre les cartes de manière à conserver le contrôle de la situation et si possible l'accroître, tout en sauvant les apparences pour tout le monde.

Les conditions se réunissent peu à peu pour un transfert massif de pouvoir vers les institutions centrales, qui donnerait autorité à l'Europe pour appliquer une politique à la Roosevelt : hostilité générale de l'opinion envers "l'austérité", mise en place d'un QE européen, nécessité impérieuse de sortir plusieurs pays de leur trappe à dette. Syriza a le vent en poupe, de ce point de vue.

Le prix d'un plan qui préserverait à la fois la chèvre grecque et le chou bancaire est tellement exorbitant sur le papier qu'une telle hypothèse ne peut exister que dans un cadre comparable au New Deal : fiscalité écrasante à l'échelle du continent et politique monétaire ultra-agressive pour parvenir à financer le tout, en assommant l'opinion européenne de communication sur la nécessité absolue de ces mesures et en serrant les fesses très très fort pour qu'elle morde à l'hameçon de la fin de l'austérité.

On imagine sans peine les mesures politiques nécessaires à mettre en place un tel plan. La consolidation de l'unité européenne et la préservation de l'euro valent bien quelques menus sacrifices, camarade.

Il ne faisait déjà pas bon vivre en Europe, mais en comparaison de celles qui se profilent, les dernières années vont avoir l'air d'une aimable plaisanterie.

dimanche 18 janvier 2015

Ennemi intérieur


L'une des caractéristiques les plus saillantes de notre establishment progressiste est qu'il laisse l'impression d'être en permanence au bord du point de rupture, tout en manifestant en fin de compte une résilience remarquable aux événements. Les discours des élites politiques et intellectuelles traduisent en général une conviction sincère que le monde occidental est perpétuellement sur le point d'être débordé sur sa droite par une légion de nationalistes racistes, conservateurs et religieux.

Cette perspective entretient l'idée que le système démocratique universaliste en vigueur est le seul rempart contre un retour des heures les plus sombres du fascisme, qui pourrait survenir à tout instant sans une vigilance constante. Vous ne voudriez tout de même pas encourager une perspective aussi sinistre, camarade. A tout prendre, la démocratie moderne est imparfaite, les islamistes 
radicaux nous posent des problèmes, mais tout cela vaut toujours mieux qu'un régime autoritaire raciste administré par le FN, n'est-ce pas?

Or, l'insatisfaction du public augmente de manière consistante ces dernières années, devant l'incapacité de plus en plus évidente des politiques publiques à faire face à la situation économique et sociale. 
L'éclatement de la bulle des subprimes en 2008 et ses conséquences ont marqué un tournant définitif dans l'assombrissement des perspectives des classes moyennes occidentales. Une bonne partie de la population, surtout urbaine, est en proie au sentiment d'insécurité.
L'absence de solutions se faisant douloureuse, la population achète de moins en moins facilement les discours lénifiants d'une classe dirigeante contrainte de consentir des efforts toujours plus grands pour accéder et se maintenir au pouvoir. 


On assiste dès lors à une poussée significative des partis nationalistes en Europe. Des idées qui il y a une décennie n'étaient portées que par quelques réactionnaires marginaux sont apparues dans les médias ces dernières années. Les sondages renforcent l'impression que le bouleversement tant redouté est possible. Marine Le Pen est en tête des intentions de vote à la présidentielle, et
d'inquiétantes tendances viennent régulièrement confirmer la sensation que les Français méditent de sombres desseins derrière leur porte close - raison pour laquelle il importe d'intensifier leur surveillance.

Nos amis universalistes jouent ainsi à se faire peur avec le spectre d'un retour imminent du fascisme qu'ils n'en finissent pas de conjurer. 


Ce n'est pourtant pas près d'arriver. Mettons-nous en situation un instant. Si Marine Le Pen gagnait soudain l'élection présidentielle, qu'arriverait-il? Le FN se retrouverait-il en possession des leviers du pouvoir? Obtiendrait-il la majorité à l'assemblée, avant de clouer le cercueil du pays à coups de lois racistes établissant un apartheid
de jure? Vous y croyez, vous? Moi, pas tellement. Je crois plutôt que le pays ferait face à une situation insurrectionnelle avant que le Front National ait pu faire passer la plus petite loi restrictive sur l'immigration. C'est du reste probablement ce qu'espèrent certains responsables politiques maintenus à la marge par le système actuel, mais c'est un autre sujet.

Le fait est que les partis qui se situent en-dehors du système auraient bien du mal à administrer le pays ; ils ont déjà du mal à se joindre à une manifestation d'unité nationale, et leur absence de conformité au credo universaliste est une raison suffisante pour qu'une part importante de l'appareil d'Etat juge légitime un refus de collaborer le cas échéant. Marine Le Pen pourrait sans doute remettre en question certaines règles de la représentation politique au travers d'une crise institutionnelle, mais elle ne menace pas les leviers existants du pouvoir. 


Face à l'instabilité grandissante de la situation, beaucoup de gens à droite commencent néanmoins à nourrir des espoirs de changement. Si certains sont fantaisistes - disparition du multiculturalisme, remigration - beaucoup sont d'autant plus légitimes qu'ils ne semblent pas représenter des exigences insurmontables politiquement. La plupart des gens n'ont que des ambitions a priori raisonnables : éclaircissement des perspectives économiques, restriction de l'immigration, retour de l'ordre via une application plus stricte de la loi pour les criminels. Tou
t cela devrait pouvoir être atteint dans le cadre du processus normal de la démocratie... non?

Mais ces revendications ne semblent pourtant pas se rapprocher d'une concrétisation. Malgré l'urgence à les mettre en oeuvre, aucune des réformes requises ne se profile à l'horizon, essentiellement 
car ceux qui les espèrent méconnaissent les mécanismes de fonctionnement du pouvoir moderne - en supposant par exemple qu'il appartient encore aux responsables politiques ou que les rapports de force idéologiques ont quelque chose d'équilibré - et sous-estiment la résilience de l'élite universaliste qui le détient. 

Les réactionnaires tentés de croire qu'un r
enouveau est imminent, que le peuple de droite va se lever et balayer l'idéologie progressiste qui règne sur la civilisation occidentale, se retrouvent peu à peu dans une position comparable à celle des communistes de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, qui pensaient que la classe ouvrière internationale allait se lever et renverser les capitalistes.

Faute de tirer les bons constats sur la force de l'adversaire, ils s'accrocheront à un fantôme qui n'est que le reflet de celui de l'éternel retour du fascisme que leur brandit la Cathédrale pour les tenir en respect. 

mercredi 14 janvier 2015

Mobilisation sans précédent contre la guerre et la mort


Nous venons d'assister au rassemblement le plus vaste de l’histoire de France, d’après ses chroniqueurs. Relativement à sa taille, il est aussi celui dont les effets directs seront probablement les plus insignifiants.

Imaginons un instant que les grandes manifestations de ce week-end n’aient pas eu lieu. Les attentats auraient permis le durcissement de certaines législations anti-terroristes ; on aurait insisté sur la nécessité plus impérieuse que jamais de faire preuve de tolérance et d’une cohabitation pacifique entre les différentes cultures ; les moyens de surveillance et de prévention auraient été renforcés ; et après quelques hommages appuyés, la vie aurait repris son cours comme si rien ne s’était produit.

Soit très exactement ce qui vient de se passer.

Trois millions et demi de personnes viennent de se réunir en France dans le plus parfait respect des institutions, les chefs d’Etat et hauts dignitaires publics emmenant le cortège, sans autre dénominateur commun à l’esprit qu’une ferme condamnation théorique du terrorisme.

Comme il est difficile de croire que le petit millier de djihadistes putatifs qui menacent le sol français justifie à lui seul une telle mobilisation, il faut se rendre à l’évidence et admettre que ces rassemblements si impressionnants par leur taille répondent avant tout au besoin de la population de se serrer les coudes après une forte émotion. Ce qui est bien compréhensible. Il n’y a pas grand-chose de plus qu'elle puisse faire, la population, si ce n’est compter sur les représentants chargés d’assurer sa sécurité pour maintenir l’ordre. Il n'y a surtout pas grand-chose de plus qu’elle soit simplement disposée à faire. La présence des principaux responsables de l’Etat français et internationaux en tête des manifestations légitime les pouvoirs existants et leurs détenteurs. Les manifestants sont descendus protester contre le terrorisme, certainement pas pour réclamer un changement politique.

Ce qui veut dire deux choses : les politiques menées ne sont appelées à changer que marginalement – et si l’historique de la lutte des pays occidentaux contre le terrorisme est d’aucune indication, elles évolueront surtout vers un contrôle accru des faits et gestes de M. Tout-le-monde, à titre préventif - et d’autres événements tragiques du même ordre auront lieu, parce qu’il est impossible de tout prévenir et que le pouvoir vient d’envoyer un message clair sur sa détermination à ne lutter contre le terrorisme que dans le respect le plus strict des règles du politiquement correct et des droits de l’homme.

L’équilibre actuel de la société occidentale est fondé, pour le meilleur et pour le pire, sur le présupposé de la culpabilité de l’homme blanc pour l’exploitation de ses pairs, et la possibilité d’une résurgence de son racisme intrinsèque est perçu comme la plus grande menace existante sur la civilisation. L’écrasante majorité de la population accepte ce présupposé. La possibilité de rencontrer une mort violente dans un hypothétique attentat, si angoissante puisse-t-elle être, ne pèse pas lourd face à la certitude d’une mort sociale pour racisme.

Par conséquent, toute autre réaction contre le terrorisme djihadiste – il n’est plus acceptable de même dire islamiste – qu’un renforcement à la marge des mesures de sécurité est inconcevable, parce qu’elle ne pourrait que finir par questionner les conditions de la coexistence avec l’islam, enfreignant, ce faisant, le tabou suprême.

Nous venons d’assister à une profession de foi massive en cet équilibre. Ce que la République vient de nous dire, avec ces manifestations géantes d’unité nationale qui ont pris soin d’exclure le FN, c’est qu’aucun prix ne sera trop élevé pour préserver l’idéal multiculturel.

Comme a prévenu un djihadiste après les événements : "S’il n’y a pas de limites à leur liberté d’expression, alors ils doivent accepter qu’il n’y en ait pas à notre liberté d’action." Ces actes de violence vont inévitablement se reproduire. La véritable signification de cette mobilisation sans précédent à l’absence totale d’effet majeur, c’est que la société progressiste et multiculturelle est résignée à accepter l’entrée du terrorisme dans son quotidien.