jeudi 13 août 2015

Grextay, suite




Nous vivons une époque fascinante où l'indigestion médiatique crée une telle cacophonie qu'il arrive régulièrement que les perles qui contiennent les informations les plus précieuses passent relativement inaperçues.

Ainsi je n'ai pas trouvé trace dans les médias français de cette récente interview au quotidien grec Kathiremini, dans laquelle le désormais ex-ministre des Finances de Syriza Yanis Varoufakis a eu l'amabilité de nous partager les considérations de son homologue allemand d'alors, le bon Dr. Wolfgang Schäuble, sur l'avenir de la zone euro - et ce qu'il est nécessaire de faire pour s'assurer qu'il advienne comme prévu.
 
"Schaeuble has a plan. The way he described it to me is very simple. He believes that the eurozone is not sustainable as it is. He believes there has to be some fiscal transfers, some degree of political union. He believes that for that political union to work without federation, without the legitimacy that a properly elected federal parliament can render, can bestow upon an executive, it will have to be done in a very disciplinary way. And he said explicitly to me that a Grexit is going to equip him with sufficient bargaining, sufficient terrorising power in order to impose upon the French that which Paris has been resisting. And what is that? A degree of transfer of budget making powers from Paris to Brussels."

Charmant garçon, ce Schäuble. Entre les Allemands et leur projet de faire de l'euro un Deutsch Mark sous stéroïdes et les Français qui ne tiennent si radicalement à leur indépendance financière que pour continuer à faire n'importe quoi avec l'argent du contribuable, les Européens sont gâtés.

Néanmoins, un Grexit reste une perte sèche d'importance pour les banques allemandes, probablement plus importante qu'une restructuration de la dette publique grecque. Que leur exécutant politique soit malgré cela prêt à privilégier cette option montre qu'il a correctement identifié la menace. L'Allemagne considère à l'évidence qu'un défaut partiel interne est un précédent nettement plus dangereux que l'exclusion d'un membre qui n'a pas su respecter les règles budgétaires.

Ainsi, Allemands et Grecs ont bien un intérêt commun à agir en faveur d'une intégration européenne accrue et d'une refonte des règles du jeu financier autour d'une centralisation complète. Leur divergence tient au fait que les Grecs préféreraient ne pas avoir à se priver de largesses financières de l'Europe dans l'intervalle, là où les Allemands s'accommoderaient du sacrifice du pion grec si ça leur permet d'aller prendre le roi français, qui défend encore le camp de la souveraineté budgétaire nationale.

De la à considérer que la nécessité pour les Français de pouvoir continuer à mijoter leur tambouille comptable en toute quiétude est le dernier rempart contre une intégration européenne à marche forcée il n'y a qu'un pas - tragique ironie.

Seulement voilà : le Grexit reste terriblement coûteux tant financièrement que politiquement. Même l'opinion allemande n'en veut pas vraiment. C'est pour cela que le pion grec n'a pas encore été sacrifié et que les Français peuvent pour le moment défendre l'unité européenne et continuer à s'adonner à leurs fantaisies économiques dans leur coin.

Malgré le vacarme autour des sommets successifs, du référendum et les gesticulations frénétiques supposées indiquer l'imminence d'un dénouement, en dépit
de l'impression d'inexorabilité dégagée par la troïka et son impitoyable austérité, les faits sont têtus. La Grèce continue à tenir sa place dans la zone euro après plus de six mois de promesses d'apocalypse nées de l'élection de Syriza, sans avoir jusqu'ici appliqué de mesures sérieuses.

Et la position de Schäuble ne laisse aucun doute sur le fait qu'en l'absence d'une évolution politique majeure c'est bien l'Allemagne, dans cette histoire, qui risque d'être contrainte de céder sur sa ligne de discipline budgétaire, d'ouvrir la porte à une dissolution plus importante de la valeur de l'euro dans la restructuration massive des dettes des pays du sud, et voir alors son rêve de zone monétaire intégrée, dominée par Berlin, se changer en tonneau des Danaïdes par lequel s'écoulera rapidement la relative prospérité allemande.

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