mercredi 14 janvier 2015

Mobilisation sans précédent contre la guerre et la mort


Nous venons d'assister au rassemblement le plus vaste de l’histoire de France, d’après ses chroniqueurs. Relativement à sa taille, il est aussi celui dont les effets directs seront probablement les plus insignifiants.

Imaginons un instant que les grandes manifestations de ce week-end n’aient pas eu lieu. Les attentats auraient permis le durcissement de certaines législations anti-terroristes ; on aurait insisté sur la nécessité plus impérieuse que jamais de faire preuve de tolérance et d’une cohabitation pacifique entre les différentes cultures ; les moyens de surveillance et de prévention auraient été renforcés ; et après quelques hommages appuyés, la vie aurait repris son cours comme si rien ne s’était produit.

Soit très exactement ce qui vient de se passer.

Trois millions et demi de personnes viennent de se réunir en France dans le plus parfait respect des institutions, les chefs d’Etat et hauts dignitaires publics emmenant le cortège, sans autre dénominateur commun à l’esprit qu’une ferme condamnation théorique du terrorisme.

Comme il est difficile de croire que le petit millier de djihadistes putatifs qui menacent le sol français justifie à lui seul une telle mobilisation, il faut se rendre à l’évidence et admettre que ces rassemblements si impressionnants par leur taille répondent avant tout au besoin de la population de se serrer les coudes après une forte émotion. Ce qui est bien compréhensible. Il n’y a pas grand-chose de plus qu'elle puisse faire, la population, si ce n’est compter sur les représentants chargés d’assurer sa sécurité pour maintenir l’ordre. Il n'y a surtout pas grand-chose de plus qu’elle soit simplement disposée à faire. La présence des principaux responsables de l’Etat français et internationaux en tête des manifestations légitime les pouvoirs existants et leurs détenteurs. Les manifestants sont descendus protester contre le terrorisme, certainement pas pour réclamer un changement politique.

Ce qui veut dire deux choses : les politiques menées ne sont appelées à changer que marginalement – et si l’historique de la lutte des pays occidentaux contre le terrorisme est d’aucune indication, elles évolueront surtout vers un contrôle accru des faits et gestes de M. Tout-le-monde, à titre préventif - et d’autres événements tragiques du même ordre auront lieu, parce qu’il est impossible de tout prévenir et que le pouvoir vient d’envoyer un message clair sur sa détermination à ne lutter contre le terrorisme que dans le respect le plus strict des règles du politiquement correct et des droits de l’homme.

L’équilibre actuel de la société occidentale est fondé, pour le meilleur et pour le pire, sur le présupposé de la culpabilité de l’homme blanc pour l’exploitation de ses pairs, et la possibilité d’une résurgence de son racisme intrinsèque est perçu comme la plus grande menace existante sur la civilisation. L’écrasante majorité de la population accepte ce présupposé. La possibilité de rencontrer une mort violente dans un hypothétique attentat, si angoissante puisse-t-elle être, ne pèse pas lourd face à la certitude d’une mort sociale pour racisme.

Par conséquent, toute autre réaction contre le terrorisme djihadiste – il n’est plus acceptable de même dire islamiste – qu’un renforcement à la marge des mesures de sécurité est inconcevable, parce qu’elle ne pourrait que finir par questionner les conditions de la coexistence avec l’islam, enfreignant, ce faisant, le tabou suprême.

Nous venons d’assister à une profession de foi massive en cet équilibre. Ce que la République vient de nous dire, avec ces manifestations géantes d’unité nationale qui ont pris soin d’exclure le FN, c’est qu’aucun prix ne sera trop élevé pour préserver l’idéal multiculturel.

Comme a prévenu un djihadiste après les événements : "S’il n’y a pas de limites à leur liberté d’expression, alors ils doivent accepter qu’il n’y en ait pas à notre liberté d’action." Ces actes de violence vont inévitablement se reproduire. La véritable signification de cette mobilisation sans précédent à l’absence totale d’effet majeur, c’est que la société progressiste et multiculturelle est résignée à accepter l’entrée du terrorisme dans son quotidien.